lundi 5 mars 2012

L’échec du système Luis Enrique


Cet été, beaucoup de choses ont changé à Rome.
Après plusieurs années de rumeurs et d'affabulations, le club a enfin été vendu.
Exit la famille Sensi, départ de nombreux joueurs, et arrivée de celui que l'on présentait comme le nouveau Guardiola, Luis Enrique.

Un profil attractif

Je ne fais pas ici allusion à son fameux nez cassé, mais bien à son parcours dans le football.
En tant que joueur, Luis Enrique a été un pion majeur du Barça après avoir passé 5 saisons au Real. En 2008, il est nommé entraîneur de la réserve Blaugrana, qu'il réussit à ramener à la 3ème place de la seconde division Espagnole. Il met en place une philosophie de jeu similaire à celle de Guardiola, basée sur la possession de balle et des joueurs occuppant des roles plus que des postes précis. Grand formateur, il participe à l'éclosion de nombreux talents, aujourd'hui en équipe A.
Tenté par une expérience dans un autre cadre en 2011, il rejoint la Roma l'été dernier, les nouveaux propriétaires le préférant, notamment à Didier Deschamps. Un choix surprenant vu l'inexpérience du Monsieur, et son absence totale de passé dans un club de première division.
Malgré tout, on se remet à espérer le retour du beau jeu, disparu avec Spalletti il y a trop longtemps. On promet une équipe attractive, avec un jeu offensif, et du spectacle. Tout ce qu'il faut pour réussir à Rome.


A peine débarqué, Luis Enrique veut imposer son point de vue. En tour préliminaire de coupe d'Europe, alors qu'il a perdu à Bratislava face au Slovan, il sort Totti à 30 minutes de la fin du match retour pour le remplacer par Okaka, et la Roma terminera sur un piteux match nul qui l'éliminera des compétitions Européennes. Il Capitano n'est pas content et le fait savoir, et un premier conflit oppose les deux hommes, conflit qui ne trouvera sa résolution -officielle- qu'après de nombreuses interventions de différents membres du club.
En conférence de presse, il montre tout son caractère. Entêté, sur de lui, il n'accepte pas les critiques (souvent injustifiées à cette période), et ses échanges avec les journalistes Italiens sont souvent savoureux.

Des débuts difficiles

Sur le terrain, il veut appliquer les mêmes principes qu'au Barça. Il souhaite développer un jeu offensif, basé sur la possession de balle, avec des latéraux très offensifs.
Le recrutement du club est construit là-dessus, on fait venir des milieux à l'aise avec le ballon (Gago, Pjanic), et des avant techniques et explosifs (Borini, Lamela). Notons aussi la venue de Bojan, arrivé dans les bagages du coach, et sur qui il compte s'appuyer pour mettre en place son système.
Seulement, derrière, seuls Heinze et Kjaer arrivent alors que Mexes est parti et Burdisso gravement blessé, et l'effectif ne compte que deux latéraux valides, José Angel et Rosi, puisque Luis Enrique comptait étrangement sur un Cicinho pourtant tout le temps blessé.
Clairement, l'effectif est déséquilibré. Cela semble ne pas gêner le technicien Asturien, qui met en place sa tactique, dans un système ou les joueurs paraissent au départ complètement perdus.
Le pauvre Osvaldo est introuvable durant les trois premiers matchs, et erre comme un perdu sur le coté gauche de l'attaque. José Angel montre rapidement sa faiblesse tactique, exploitée immédiatement par les adversaires et Bojan manque plus d'occasions que Bakayoko et Lamine Sakho à leur heure de gloire. La Roma joue très haut, avec une ligne arrière très lente. Les contre-attaques fusent et le jeu est très prévisible. Logiquement, le début de saison est poussif, mais on se doutait que tout n'allait pas arriver du jour au lendemain.

Avec le retour de Gago, blessé au départ de la saison, la Roma semble retrouver un peu d'entrain. De Rossi est plus libre, moins collé à ses défenseurs, et peut organiser la relance. Menée par Totti et Pjanic, la Louve obtient quelques bons résultats, et propose, par phase, du jeu attractif. On assiste à l'émergence d'un Taddei au poste d'arrière latéral, et à l'arrivée en douceur de Lamela, présenté comme la nouvelle merveille du football Argentin à son arrivée.
Comme Luis Enrique le veut, la Roma a la balle, beaucoup, allant parfois jusqu'à 70% de possession, mais le jeu reste au final très stérile.
L'équipe reste inconstante, et est sujette aux sautes de concentrations et erreurs individuelles, notamment de Kjaer. Clairement, les défenseurs centraux sont trop souvent pris à défaut sur les contre-attaques. Logique, puisque le coach leur demande de jouer haut.
Pris en grippe par certains supporters, Luis Enrique se borne à son système.
Convaincu du bien-fondé de ses idées, il n'en change jamais, pas même en cours de match, et maintient sa confiance à sa tactique, même lorsque l'équipe se retrouve en infériorité numérique, situation bien trop fréquente (déjà 8 expulsions depuis le début de la saison...).
La discipline, revenons-y. Principe de base de Luis Enrique, elle semble pourtant faire défaut à un effectif que l'on jurerait à bout de nerfs. Outre les expulsions, le jet de maillot de Bojan, ou encore la bagarre Osvaldo-Lamela semblent témoigner d'un climat tendu dans le vestiaire Romain.

Luis Enrique, l'Homme qui n'utilisait qu'un seul système de jeu

L'Espagnol veut imposer son schéma, et ne veut en aucun cas en changer, quel que soit l'adversaire, et quels que soient les joueurs à sa disposition.
Seulement, dans un championnat aussi tactique que la Serie A, c'est du suicide. N'ayant pas les joueurs qu'il faut pour appliquer son système à la perfection, il se retrouve criblé de défauts.
Dès qu'il manque un cadre, l'équipe sombre. Les victoires sans De Rossi sont très rares, et l'animation offensive est proportionnelle au rayonnement de Totti.
Après une mauvaise série ponctuée par une défaite mémorable face à la Fiorentina, Luis Enrique commence à être critiqué, et il craque complètement en interview lorsqu' Ancelotti (alors libre de tout contrat) déclare qu'il entraînera un jour à Rome.

Arrive alors le match face à l'Inter de Ranieri, ancien coach Romain. Les Milanais reviennent bien, et l'on s'attend à un gros match. Seulement, la Roma écrase ses adversaires, leur infligeant un cinglant 4-0, première victoire à domicile face à un "gros" cette saison.
On se remet à rêver, à croire en la possibilité de réussite du projet. Luis Enrique évoque la possibilité d'accrocher la troisième place. Surtout, il s'offre du temps, et du calme pour travailler. Il peut sereinement continuer avec ses idées. 
Seulement, l'équipe continue avec son inconstance, en allant perdre à Sienne par exemple.

L'application des règles au détriment du résultat

Alors qu'un tournant face à l'Atalanta se profile, il décide de se passer de De Rossi, en retard de moins de 5 minutes à une réunion d'avant-match. Selon le règlement de l'équipe, l'international Italein, figure du club, doit être suspendu.A Bergame, c'est depuis les tribunes que "Le capitaine du futur" assiste à la déroute de son équipe.
Le match est un désastre, la Roma prend l'eau de toute part, et le coach adverse se permet de dire que c'est l'équipe la plus facile à contrer tactiquement de l'ensemble de la Serie A.
La polémique sur la non-sélection de De Rossi enfle (alors que Kjaer était aussi en tribune), et à une semaine du derby, la situation est problématique.
La Lazio est mieux classée, encore en course en Europa League, mais subit une crise suite à la 65ème fausse démission de la saison de son coach.
On se dit que Luis Enrique va s'adapter quelque peu, jouer plus bas, mais non.
Résultat, dès le début du match, suite à un mauvais alignement, les Laziale partent dans le dos de la défense Romaine, Stekelenburg provoque un penalty et est exclu. Le match est fini.
Pour la seconde fois de la saison, la Roma perd le derby, et se retrouve à 10 points de la Ligue des Champions. Les dirigeants effectuent les traditionnelles sorties dans la presse réaffirmant leur confiance dans leur coach, mais il est difficile de croire encore dans ce projet.

Incapable d'ajuster ses plans à l'adversaire, ni même à ses joueurs, Luis Enrique a atteint le point de non-retour. A Rome, une saison peut être sauvée à travers les derbys. Cette année, la Louve a perdu les deux, et va regarder la prochaine Ligue des Champions à la télévision.
On promet une amélioration, on rappelle sans cesse que c'est un projet à long terme, mais voila, la réalité ne plaide pas en faveur du coach Espagnol.


Des chiffres sans appel

Alors qu'il prône une philosophie basée sur le jeu, la Roma inscrit 37% de ses buts sur coups de pied arrêtés. Étonnant, mais logique quand on regarde plus précisément les matchs, ou la Louve a bien du mal à se créer des occasions. Manque de déplacement, manque de liant, et mouvements trop prévisibles pour mettre à mal les défenses adverses regroupées, voila une explication des faibles performances offensives (seulement 1,5 buts par match).
Un problème physique semble aussi se révéler, puisque les Romains ont encaissés deux tiers de leurs buts en seconde période. Finalement, cela semble assez logique vu la quantité d'effort demandée par le système Enrique.

Ajoutez à ça l'âge de la défense (Juan et Heinze n'étant plus tout jeune), et vous comprenez rapidement qu'un système aussi exigeant avec vos défenseurs centraux n'est pas tenable sur la durée. Résultat, la Roma encaisse 1.3 buts par match, et dans la première partie de tableau, seul un Inter complètement déliquescent fait moins bien.
Pour couronner le tout, dans un championnat ou la tactique est prépondérante, la Roma, incapable de se réinventer en cours de match, a déjà abandonné 15 points à domicile, souvent contre des adversaires regroupés qui attendent et contrent avec succès.
Que le système ne soit pas à son efficacité optimale dès son application n'est pas un drame en soi, ce qui est bien plus gênant, c'est le manque de progrès de l'équipe, qui perdait déjà en se faisant contrer lors de la deuxième journée (la première disputée cette saison) face à Cagliari.
Certes, habitué à travailler avec les jeunes, Luis Enrique a favorisé l'émergence de Borini en n'hésitant pas à lui faire confiance, mais c'est bien peu pour sauver son bilan.
Dans une ville ou l'urgence des résultats se fait très vite sentir, pas sur que cela suffise à redorer son blason auprès de supporters de plus en plus impatients.
Malgré un projet de jeu alléchant, une nouvelle approche tactique, et des joueurs qui le décrivent comme un coach brillant, il parait difficile de croire encore en le succès de Luis Enrique à Rome.