mardi 24 janvier 2012

Totti et moi, 15 ans deja



C'est l'histoire d'une rencontre qui a eu lieu un peu par hasard.
Rien, a priori, ne me destinait à connaitre si bien Francesco. 
N'étant pas d'origine Italienne, n'ayant jamais visité Rome, n'ayant pas vu de match "marquant" de la Roma dans ma jeunesse -ce type de match qui peut vous faire tomber amoureux d'une équipe en 90 minutes- la probabilité de faire de moi un ardent supporter Giallorosso était faible.

Comme souvent dans ce type de relation, c'est un entremetteur qui a tout provoqué.
Alors que je jouais latéral gauche à mon humble niveau, j'ai flashé sur un petit Guingampais, Vincent Candela, que je me suis mis à suivre assidûment, et que j'ai alors pris en modèle.
Je copiais ses gestes, son style, sa hauteur de chaussettes, ses crampons, et même, avec beaucoup moins de réussite, sa coiffure. Quand, en 1997, il a quitté le village d'irréductibles Bretons pour rejoindre Rome, c'est assez naturellement que je l'ai suivi.



A ce moment là, je commençais à me coucher plus tard, et en plus des matchs de première division de l'époque, j'ai ainsi pu découvrir le football Européen au travers de l'équipe du Dimanche.
J'étais émerveillé devant tous ces grands joueurs que je ne connaissais que de nom, la variété des types de jeu proposés, mais à l'époque, déjà, je restais éveillé avant tout pour la Serie A.
Malheureusement, les grands formats étaient en priorité consacrés au Milan (Desailly oblige), à l'Inter (Djorkaeff, Cauet et Ronaldo) ou à la Juve (Zidane étant arrivé un an plus tôt, rejoignant Deschamps chez la vieille dame).
N'ayant pas les moyens dont nous disposons aujourd'hui, je devais me contenter des courts résumés des matchs de la Roma, ce qui me satisfaisait peu. 
Qui dit résumés courts, dit priorité aux phases offensives, et là, Candela n'était pas le plus présent. C'est alors que mon attention fut attirée par un milieu offensif aux allures de jeune premier, et à partir de ce moment, nous allions devenir inséparables.


Pas encore de question de tactique, ou de positionnement, juste une question de classe et de charisme à ce moment. Je n'étais alors qu'un jeune Fanboy, et pour moi, le joueur qui marquait les buts de mon équipe favorite était mon héros. 
Je ne le connaissais alors pas plus que ça, mais je l'aimais, pas tout à fait comme tous les autres joueurs de l'effectif Romain. Il avait quelque chose de spécial pour moi, que je ne saurai expliquer. Sur le terrain, j'avais été repositionné en second attaquant. Je commençais à baisser mes chaussettes, et je rêvais d'avoir une coupe au bol. J'avais pour ambition d'être capitaine, et je voulais tirer tous les coup-francs en force. Je voulais être le Totti de mon club.


Puis vint ma période "Football Manager", ou la Roma, avec les arrivées de Montella et Batigol notamment, était la meilleure équipe du monde. Je passais des heures sur ce jeu, faisant reposer mon schéma tactique sur un meneur de jeu, et les victoires que Totti m'apportait me le rendaient encore plus sympathique.
Il me permettait d'apporter virtuellement au club que j'aime les titres qu'il mérite. Cela parait inconcevable, mais ça a aussi grandement contribué à faire grandir mon affection pour lui.
Puis, avec l'équipe et les résultats qui montaient, l'équipe du Dimanche commençait à les diffuser de plus en plus souvent en grand format.
J'ai pu découvrir son caractère difficile, sa technique, ses coups de sang, mais surtout, son leadership et sa classe.

L'année 2000 fut pour moi l'une des plus belles, même si durant l'été, je fus habité d'un sentiment mitigé.
J'étais certes ravi de voir la France de Vincent Candela remporter l'Euro, mais dans le même temps, ils s'imposaient de la pire des manières possibles face à Delvecchio, Montella, et Totti. Une partie de moi ne pouvait se réjouir d'un tel résultat. Mais une fois la saison en club débutée, ce sentiment disparut.

La Roma crevait l'écran, avec son système en 3-5-2, ses Brésiliens fantasques, les meilleurs latéraux du Calcio,  mais surtout son trio de feu en attaque. Capello me faisait découvrir l'aspect tactique du football, et Totti rayonnait toujours plus.
Impossible pour moi de ne pas le voir, grandissant dans son costume d'empereur de Rome, leader incontestable de mon équipe, star parmi les stars.
Le titre de champion m'a apporté une joie que je pensais insurpassable, mais j'étais loin de la vérité.
La saison suivante, pour la première fois, j'ai pleuré de joie devant la télévision. Je n'avais pas gagné au loto, ou vu un film très prenant, non, la Roma écrasait la Lazio 5-1, avec un quadruplé de l'aéroplanino, et un lob magique de celui qui, à ce moment précis, allait devenir définitivement mon idole. Un sentiment bien plus fort que pour le titre, car plus ponctuel et plus immédiat, mais surtout une victoire arrachée face à l'ennemi de toujours, celui qui représente tout ce que je déteste, et à qui il faut à chaque fois montrer qui sont les vrais Rois de Rome.


Dans un registre bien moins joyeux, c'est à peu près à cette époque que j'ai découvert les magazines "spécial mercato". Chaque semaine, Foot Transfert et autres Buts annonçaient Totti aux 4 coins de l'Europe, se permettant même d'affirmer que mon Capitaine allait signer à l'OM, un club "de standing supérieur". 
Chaque jour, j'écoutais avec attention toutes les émissions Sport possible à la radio pour entendre la confirmation de son départ.  Rapidement, mon été devenait invivable, on m'annonçait que mon idole, qui jouait dans le club de mon coeur, allait partir, me tromper pour de l'argent et un projet sportif "plus intéressant". 

Il ne pouvait pas me faire ça, pas à moi! 

Candela était parti, vers qui allais-je me tourner pour remplacer Francesco dans mon coeur? J'avais l'esprit plein de doutes, de questions, et de peur, effrayé que j'étais de voir mon idole s'en aller.
Il m'a fallu plusieurs années pour que je comprenne que Totti était Rome, et qu'il était impossible de le voir partir. 

Comme toutes les relations, celle que je partage avec Totti a connu des hauts et des bas. Le plus bas fut l'Euro 2004, ou la séparation était proche. 
Ce fut la première et seule fois que Totti me trahissait. Convaincu qu'il allait mener l'Italie au sommet, leur faire gagner l'Euro, et repartir avec le ballon d'or l'hiver suivant, ma déception fut immense quand il se cracha sur l’innommable, et fut suspendu, m'abandonnant dès le début d'une compétition qui n'attendait que lui. J'avais ce sentiment d'avoir été trompé, abandonné, par celui sur qui je comptais tant. Une partie de moi s'était brisée.


Suite à cette déception, je commençais à me trouver d'autres compagnons de rêve. Mexes, que j'appréciais déjà beaucoup à Auxerre, arrivait à Rome. Et je jouais désormais défenseur central. J'ai réajusté la hauteur de mes chaussettes, et je commençais à décortiquer chacune de ses performances, pour m'en inspirer. Je voulais tacler comme lui, défendre comme lui. Totti n'était plus que mon "n°2", mon premier amour, celui que l'on oublie pas, mais qui n'est plus là.

Mais en 2005, un nouvel acteur allait remettre notre relation sur de bons rails. Comme Candela 8 ans plus tôt, il allait jouer un rôle capital. 
Le peu chevelu Luciano Spalletti allait rependre les rênes de la Roma, et la remettre au niveau ou elle se devait d'être. Pendant quelques années, la Louve allait proposer le meilleur jeu d'Europe, basé sur un mouvement constant, et une fausse pointe à la finition.
Pas besoin de vous préciser qui tenait ce rôle, et qui allait vite redevenir mon favori.
En une saison, tout était oublié. Son impact technique, sa vision du jeu, sa classe hors-du-commun, il m'éblouissait un peu plus à chaque diffusion...J'avais appris à pardonner les coups de sang de Totti, réalisant que c'est aussi par ce type d'évènement que se construit une légende.
Maradona, Zidane, Pelé, tous les plus grands ont leur coté sombre, leur "anecdote" peu recommandable, mais pourtant part entière de leur personnage.
Quand on aime, ce ne doit pas être uniquement pour les bonnes choses, il faut aussi accepter et comprendre les moins bonnes.

En 2006, j'ai à nouveau pleurer devant ma télévision, cette fois-ci lors du match face à Empoli. Les images, en boucle, du pied de Totti planté dans le gazon, quasiment à l'envers, étaient pour moi insoutenables.
Mon idole était blessée, gravement. Allait-il revenir à son niveau? Allait-il à nouveau manquer une compétition internationale? Allait-il abandonner la Roma?

Les questions étaient nombreuses, et à cette période, je me suis mis à acheter la Gazetta Dello Sport pour suivre l'évolution de son état de santé, traduisant les articles à l'aide d'Internet.
Je souffrais avec lui, je le soutenais à distance, même s'il ne le savait pas. J'étais là pour lui, comme il avait été là pour moi. Son retour et sa victoire à la Coupe du Monde 2006 furent pour moi, la plus belle des récompenses. Puis, je suis entré dans la vie active, j'ai pu m'acheter son maillot, le porter dans les situations difficiles pour qu'il soit toujours avec moi. 

En 2008, la séance de penalty face à Arsenal fut un déchirement. Quand ton idole voit son rêve s'envoler et quitte le terrain en pleurs, sous les acclamations des commentateurs partiaux de Canal+, difficile de rester calme. Je me rappelle être parti ce soir là courir sous la pluie en pleine nuit pour évacuer ma frustration. A nouveau, mon idole était blessée, et à nouveau, je ne pouvais rien y faire.

Ce sont justement ces situations qui renforcent l'amour pour un club. C'est dans la douleur qu'il y a le plus besoin d'être supporter. Il est toujours facile de s'afficher aux couleurs du gagnant après coup, mais les émotions sont démultipliées par la durée, et la véritable affection que l'on porte au club de son coeur.

Depuis, Totti a refusé l'argent de Los Angeles pour rester à Rome, prouvant à nouveau si besoin est qu'il nous aime au moins autant que nous l'aimons.
Il défraie toujours la chronique avec ses T-shirts et ses déclarations. Chaque jour un peu plus, il multiplie les raisons de l'apprécier.

Plus récemment, notre relation a évolué. Je suis allé à Rome, sur ses terres, pour comprendre à quel point nous étions nombreux à avoir cette relation avec Totti. En sortant de l'avion, il est sur la première publicité que l'on croise.
Tous les étals des marchands vendent sa figurine, au coté du Pape et du traditionnel gladiateur. Tous les magasins de sport mettent en avant son maillot floqué. Il est partout, tout le temps. Il règne sur Rome, chaque rue ou presque possédant quelque chose nous rappelant sa présence. On sent l'amour que la ville lui porte, et on comprend pourquoi il lui a été impossible de s'en aller.

Sur le terrain, la Roma a retrouvé un coach qui comprend notre empereur, même si leur relation a mal débutée. On retrouve le génie de notre Capitaine, même s'il court moins, va moins vite, et tire moins fort.
Maintenant, Totti encadre les plus jeunes, et chasse les records. Et je suis toujours aussi attentivement ses matchs, et ceux de la Roma. Après 15 ans ensemble, je ne vois pas pourquoi ça changerait.

Pour tout ça, et toutes les choses que j'ai surement oubliées,  Grazie, Capitano.